Parce que tout ne peut être traité dans nos reportages, nous donnons libre cours aux envies de nos journalistes. Au-delà des articles mis en ligne, nous vous proposerons dans cette section des papiers approfondis sur une thématique déjà traitée, ou des papiers originaux, sans lien avec nos parutions.
Plongée dans le flou juridique autour la PMA en France
Mise à jour le 12/09/17
Quatre ans après l’adoption du mariage pour tous, l’ouverture de la procréation médicalement assistée pour toutes les femmes (célibataires comme homosexuelles) n’est toujours pas réglée.Une révision de la loi de bioéthique en 2018 pourrait enfin changer la donne. Pour l'instant, politique, familles et avocats se débattent avec la législation actuelle.
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PMA, trois lettres dont on entend souvent parler, sans connaître précisément les tenants et aboutissants. S’il fallait un symbole pour prouver le caractère hautement sensible de la question : la très longue attente autour d’un avis rendu par le comité consultatif national d’éthique (CCNE).
Cette instance nouvellement présidée par le Professeur Jean-François Delfraissy a planché sur l’épineuse PMA… depuis 2013. Il a fallu attendre le 27 juin dernier pour qu’un avis soit officiellement rendu en ces termes : « l'ouverture de la PMA à des personnes sans stérilité pathologique peut se concevoir pour pallier une souffrance induite par une infécondité résultant d'orientations personnelles » (http://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/ccne_avis_ndeg126_amp.pdf) Le feu est vert, mais l’avis n’est que consultatif…
Un calendrier politique
François Hollande, alors président, avait indiqué pendant son quinquennat suivre les conclusions rendues par le CCNE, tout comme le nouveau président Emmanuel Macron. (http://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Ethique/PMA-quen-dit-Emmanuel-Macron-2017-05-19-1200848477)
Les deux présidents pendant leur campagne se sont engagés à étendre le droit à la PMA pour toutes. Confirmation est faite, le 17 mai dernier, lors de la journée internationale de lutte contre l’homophobie. Benjamin Griveaux, le porte-parole du gouvernement :
https://twitter.com/BGriveaux/status/864785766899228672
L’année 2018 pourrait être un tournant, avec en vue une révision de la loi de bioéthique. Pour Marlène Schiappa, l’actuelle secrétaire d’État à l’égalité entre les hommes et les femmes « ouvrir la PMA à toutes les femmes est une question de justice sociale »
https://twitter.com/RMCinfo/status/907495967095750656
En attendant, des milliers de couples homosexuelles sont contraintes chaque année à un « tourisme procréatif » comme le rappelle le gynécologue René Frydman. Ces couples doivent s’exiler en Espagne ou encore en Belgique pour bénéficier d’une insémination. De retour en France, la grossesse est suivie et parfois prise en charge par des gynécologues qui estiment que la loi actuelle est « obsolète et dépassée ». La joie de devenir parents passée, dans tous les cas, c’est une plongée obligatoire dans les embûches de la législation française. S’engage alors une bataille juridique qui prend du temps, et qui coûte de l’argent.
Maître Aurélie Lebel, une avocate au barreau de Lille, spécialisée dans le droit de la famille en est le témoin privilégiée. Elle reçoit des dizaines de couples de femmes chaque année. Dans son cabinet, une demande qui revient en boucle : tout faire pour donner un statut à la deuxième maman, pour sécuriser la famille homoparentale.
Adopter pour avoir un statut
De nombreuses femmes redoutent une période de non-droit, d’un statut plus que flou, pour l’une des conjointes : celle qui n’a pas accouché. En effet, au regard de la loi, elle n’a pas de droit direct sur l’enfant. De l’autre côté de la frontière belge, la législation a évolué comme l’explique Maître Lebel « La Belgique a résolu une partie du problème avec le principe d’une présomption de co-maternité, c’est un vrai statut de la seconde maman, celle qui n’est pas la mère biologique, et je pense qu’en France, c’est vers cela que nous devons nous orienter ». Pour le moment, en l’état actuel, il existe plusieurs choix pour établir un lien entre l’enfant et la deuxième maman.
Premièrement, avec une demande de délégation d’autorité parentale, concrètement, la mère biologique autorise un partage de son autorité avec sa compagne. Dans un second temps, il existe la demande d’adoption, mais pour cela, il faut impérativement s’être mariées au préalable, une union rendue possible depuis l’adoption du mariage pour tous en 2013. On parle alors d’une adoption dite plénière : « l’épouse de la mère adopte l’enfant de la mère biologique, cette mère biologique reste la mère officielle mais l’on adjoint un second lien entre sa compagne et l’enfant né. » explique Maître Lebel. Une démarche qui peut prendre 6 mois, 1 an voire plus, selon l’encombrement des tribunaux et l’énergie dépensée par certains avocats, comme Aurélie Lebel.
Courageuse, passionnée, engagée, cette avocate se bat au quotidien depuis ses bureaux de Roubaix pour que la législation actuelle change, non pas par dogmatisme ni idéologie mais par simple constat de l’évolution de la construction des familles en 2017 : « la famille c’est ce que la société décide de qualifier de famille, le modèle familial classique ne peut être figé, et les institutions ne peuvent pas non être figées, sinon on pourrait en rester à l’interdiction simple du recours au divorce… »
Des cas existent, que l’on soit à l’aise ou pas avec certaines pratiques comme la PMA, le statu quo politique et donc juridique n’est pas tenable : « les institutions doivent coller aux besoins de la société. Il faut des formes de conjugalités pour tous les couples que la société accepte. Quand on vient nous dire qu’il ne faut que le mariage, ce n’est pas acceptable, une société est faite de tous les individus qui la compose, et pas simplement d’une partie de celle la. Quand cette même petite partie veut nous imposer ses règles, au nom, à mon avis, de conception religieuse qui ne sont pas partagées par tout le monde, c’est inacceptable. »
Allusion directe à certains mouvements réactionnaires comme la Manif pour tous, transmué en Sens commun qui a ouvertement soutenu le candidat de la droite et du centre François Fillon pendant cette présidentielle 2017. Même si le mariage pour tous a bien été adopté, le bruit nourri par les anti mariage gay a réussi a figé d’autres avancées, en tétanisant le pouvoir.
Un président favorable, un premier ministre hostile
En marche (vraiment) vers la PMA avec Emmanuel Macron ? Le candidat s’est dit « favorable à titre personnel » à l’ouverture de la PMA pour toutes femmes, et en même temps, ce même candidat a tendu la main aux mouvements réactionnaires, dans une interview à « L’Obs » en février dernier : « Une des erreurs fondamentales de ce quinquennat (Hollande) a été d’ignorer une partie du pays, qui a de bonnes raisons de vivre dans le ressentiment et les passions tristes. C’est ce qui s’est passé avec le mariage pour tous où on a humilié cette France là. Il ne faut jamais humilier, il faut parler »
https://twitter.com/Mancioday/status/831963686206054400
Parler, écouter, ne pas brusquer. Mais après ? Cette question de la PMA a été l’objet d’atermoiements politiques, d’annonces puis… de renoncements. Le gouvernement d’Edouard Philippe proposera l’année prochaine, dans le cadre d’une révision de la loi sur la bioéthique, d’ouvrir ce droit à la PMA à toutes les femmes : « l’engagement de campagne sera tenu » affirme Marlène Schiappa. Un engagement c’est bien, s’y tenir c’est mieux.
Thibaut Mougin
Vous pouvez aussi écouter le reportage de Thibaut, témoignages de médecins et de mamans.