La contractualisation des conséquences de la rupture des époux expatriés
LA CONTRACTUALISATION DES CONSEQUENCES DE LA RUPTURE DES EPOUX EXPATRIES
Qui dit mariage, dit souvent divorce, en tout cas pour l'avocat qui pratique le droit de la famille. Et qui dit divorce, dit enfants, pensions alimentaire, prestations compensatoires…
Or la plupart des époux, français ou binationaux, qui décident de partir s'installer à l'étranger ignorent que leur déménagement aura des conséquences, importantes, sur leur éventuel divorce :
I- Règles de DIP
1- Il aura des conséquences sur la juridiction compétente en matière de divorce, cependant les critères de détermination de celle-ci sont suffisamment larges pour qu'il demeure toujours assez facile de saisir le juge français.
De fait, c'est Bruxelles II bis (article 3) qui fixe les règles et elles sont alternatives, de telle sorte qu'un époux peut saisir, au choix, la juridiction :
- Du lieu de résidence habituelle des époux
- Du lieu de dernière résidence commune si l'un des époux y réside encore
- Du lieu de résidence du défendeur
- Du lieu de résidence habituelle du demandeur s'il y a vécu au moins 6 mois avant l'introduction de la demande et qu'il est ressortissant de cet état
- Du lieu de résidence habituelle du demandeur s'il y a résidé au moins une année avant l'introduction de la requête
- Du lieu de nationalité commune des époux
En cas de divorce par consentement mutuel, les époux peuvent opter pour la juridiction du lieu de résidence de l'un ou l'autre des époux.
A défaut d'entrer dans ces critères, on applique l'article 1070 du Code Civil.
Un couple de français résidant en Belgique pourra donc choisir de saisir la juridiction française ou la juridiction belge.
2- S'agissant des enfants, en revanche, la situation est plus périlleuse, puisque le juge du divorce ne sera compétent les concernant que s'il y a accord sur ce point (article 12 du règlement Bruxelles II bis).
A défaut :
- pour les questions relatives à l'autorité parentale, c'est le juge de la résidence habituelle de l'enfant qui sera compétent en application des dispositions de l'article 8 du règlement Bruxelles II bis.
- s'agissant des obligations alimentaires relatives aux enfants, le juge compétent sera déterminé par le règlement "obligations alimentaires" du 18 décembre 2008, article 3 qui prévoit 3 critères hiérarchisés :
Lieu de résidence habituelle du défendeur
Lieu de résidence du créancier
Juridiction compétente pour statuer sur le principe du divorce, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité des parties = juridiction saisie du divorce.
Ces règles ne peuvent être modifiées par convention.
Les époux français, dans l'exemple sus-mentionné, prennent donc le risque de voir une juridiction belge saisie des questions liées aux enfants.
Par ailleurs, c'est un autre droit que leur droit national qui sera applicable aux enfants.
La règle de conflit de loi est fixée s'agissant de la responsabilité parentale par la convention de la Haye du 19 octobre 1996, qui est d'application universelle, en ce compris aux Etats non signataires.
Elle prévoit, en son article 15, l'application de la loi du lieu de résidence habituelle de l'enfant, sauf exception prévue à l'article 16 au profit d'une loi présentant un lien étroit avec la situation lorsque la protection du mineur le requiert.
Ces règles ne peuvent être modifiées par convention.
La loi applicable aux obligations alimentaires envers les enfants est déterminée par l'article 3 du protocole de la Haye, qui prévoit l'application de la loi de la résidence habituelle du créancier d'aliment, c'est-à-dire la loi de résidence habituelle de l'enfant.
Il ne peut être dérogé conventionnellement à cette règle.
Pour reprendre l'exemple de nos époux français résidant en Belgique, même s'ils saisissent le juge français de leur procédure de divorce, le juge belge sera compétent à défaut d'accord des époux concernant les questions relatives à la responsabilité parentale (ap, résidence, dvh) et aux obligations alimentaires. Il y appliquera la loi belge.
3- Le fait de s'expatrier aura également des conséquences sur le régime matrimonial des époux, puisqu'à défaut d'option, la loi qui leur sera applicable sera celui de leur première résidence commune, et le régime légal de cet état leur sera donc applicable.
Pour reprendre l'exemple de nos époux français résidant en Belgique, ils seront donc soumis au régime légal belge s'ils se sont installés en Belgique immédiatement après leur mariage, ou s'ils y ont résidé plus de dix ans (mutabilité automatique).
Si le régime est globalement identique au régime français, cela n'aura pas forcément de conséquences. Mais les régimes européens sont très disparates et le Danemark, par exemple, a comme régime légal la communauté universelle, tandis que le régime britannique est assimilé à une séparation de biens.
4- L'installation à l'étranger aura également des conséquences sur la loi applicable au divorce (à ses causes), puisque le règlement Rome III prévoit des critères qui sont hiérarchisés et que l'on applique, prioritairement aux époux, quelle que soit leur nationalité, la loi de leur lieu de résidence habituelle.
L'article 8 prévoit en effet l'application de la loi de l'Etat de résidence habituelle des époux au jour de la saisine, à défaut, celle de la dernière habituelle des époux à condition qu'ellen'ait pas pris fin plus d'un an avant la saisine et que l'un des époux y réside encore, à défaut la loi de nationalité commune des époux, à défaut la loi du for.
Ces règles sont hiérarchisées.
Pour reprendre l'exemple déjà cité, on appliquera donc à nos époux français résidant en Belgique la loi belge. Or cette loi ne prévoit pas le divorce pour faute, contrairement au droit français.
5- Enfin, l'expatriation aura des conséquences sur les conséquences financières du divorce entre époux, pension alimentaire, prestation compensatoire, puisque les obligations alimentaires entre époux sont également régies, s'agissant de la détermination de la juridiction compétente, par le règlement dit "obligations alimentaires" du 18 décembre 2008, 4/2009. La notion d'obligations alimentaires entre époux recouvre devoir de secours et prestation compensatoire;
Son article 3 prévoit 3 critères hiérarchisés de détermination de la compétence des juridictions :
- Lieu de résidence habituelle du défendeur
- Lieu de résidence du créancier
- Juridiction compétente pour statuer sur le principe du divorce, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité des parties = juridiction saisie du divorce.
Là encore, le juge du divorce ne sera donc pas obligatoirement le juge des obligations alimentaires.
La détermination de la loi applicable aux obligations alimentaires entre époux est soumises au règlement européen dit "obligations alimentaires" du 18 décembre 2008, dont l'article 15 renvoie au protocole de la Haye du 23 novembre 2007 relatif aux dispositions alimentaires applicables en matière d'obligations alimentaires.
C'est l'article 3 qui détermine la loi applicable et il prévoit que la loi applicable est celle du lieu de résidence du créancier de l'obligation alimentaire.
Dans notre exemple particulier, la loi applicable à nos époux français serait la loi belge, or celle-ci, contrairement au droit français, ne prévoit l'octroi d'une prestation compensatoire que dans des circonstances exceptionnelles.
Certes, l'article 5 prévoit que le juge peut faire choix d'une autre loi, lorsque l'une des parties s'y oppose et qu'une autre loi, en particulier celle de la dernière résidence commune, présente un lien plus étroit avec le mariage, cependant cela pose un problème d'insécurité juridique, puisque les époux sont alors soumis à l'appréciation souveraine des juges sur ce point.
6- Après le prononcé du divorce, l'expatriation aura également des conséquences sur la juridiction compétente en termes de liquidation du régime matrimonial.
Il n'existe pas de règle de droit européen en la matière et c'est la règle française de DIP, prévue par l'article 1070, qui s'applique : le juge compétent sera donc celui du lieu de résidence commune des parties, soit celui du lieu de résidence du parent avec qui réside les enfants mineurs, à défaut, le lieu de résidence du défendeur.
II- Aménagements conventionnels
Lorsque des époux savent qu'ils risquent de s'installer à l'étranger en cours d'union, il est opportun qu'ils tentent, ab initio, de régler toutes ces questions à l'avance en faisant, notamment, choix de la loi applicable lorsque la possibilité leur en est offerte, ou en désignant à l'avance la juridiction compétente.
Cela n'est pas toujours possible, cependant.
1- S'agissant de la loi applicable au régime matrimonial, la convention de la Haye du 14 mars 1978, applicable aux époux mariés après le 1e septembre 1992, prévoit en son article 3 que les époux ont la possibilité de désigner avant le mariage la loi applicable à leur régime matrimonial. La désignation de la loi peut également s'accompagner du choix d'un régime matrimonial, autorisé par la loi interne.
Formellement, le choix des époux doit s'exprimer par un écrit daté et signé.
Les époux ne peuvent opter que pour la loi de nationalité de l'un d'entre eux, la de la résidence habituelle de l'un d'entre eux, la loi du premier état sur le territoire duquel ils vont établir leur résidence habituelle après le mariage.
2- S'agissant de la loi applicable aux obligations alimentaires entre époux, elles sont soumises au règlement européen dit "obligations alimentaires" du 18 décembre 2008, dont l'article 15 renvoie au protocole de la Haye du 23 novembre 2007 relatif aux dispositions alimentaires applicables en matière d'obligations alimentaires. Or son article 7 permet aux parties de choisir la loi applicable aux obligations alimentaires, à condition que cet accord soit intervenu avant l'introduction de la procédure de divorce, par écrit.
3- Les époux peuvent également déroger aux règles fixant la juridiction compétente quant à leurs obligations alimentaires. L'article 4 prévoit en effet que les parties peuvent s'accorder et déroger conventionnellement à ces règles de compétence, en faisant "élection de for". Il fixe la liste des juridictions dont elles pourront faire choix. L'accord doit être formalisé par écrit.
4- S'agissant de la loi applicable au divorce, les époux ont la possibilité de choisir ab initio la loi applicable à leur divorce.
Le choix n'est pas libre, puisqu'il n'est possible d'opter que pour la loi de résidence habituelle, loi de nationalité commune ou de l'un d'entre eux, loi du for.
Le choix s'exprime par un écrit daté et signé par les époux, et il doit obligatoirement être exprimé avant que ne soit engagée une procédure de divorce, c'est-à-dire avant la date de dépôt de la requête en divorce. Une fois la procédure entamée, aucun accord n'est plus possible et c'est obligatoirement les critères de Rome III qui s'appliqueront.
Il n'est en revanche, pas possible de déroger conventionnellement aux règles de compétence en matière de divorce et en cas de changement de résidence en cours de procédure, le juge saisi demeure compétent.
Pour résumer, les époux disposent d'une faculté de choix, tant s'agissant de la juridiction compétente, que de la loi applicable.
On peut choisir la loi applicable au divorce et aux obligations alimentaires entre époux, en revanche, on ne peut jamais choisir la loi applicable concernant les enfants (obligations alimentaires et responsabilité parentale).
On peut choisir la juridiction compétente pour statuer sur les obligations alimentaires entre époux, mais pas pour le divorce ni pour la responsabilité parentale ou les obligations alimentaires concernant les enfants, sauf prorogation de compétence de l'article 12.
Il est donc indispensable que les époux qui sont concernés par un élément d'extranéité (par exemple, parce qu'ils envisagent de s'expatrier) envisagent ab initio toutes les questions qui se posent à eux.
- décembre 2024
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